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Attention au rôle des sondages d’opinion dans la mésinformation et la désinformation durant la pandémie de COVID-19

Noni E. MacDonald, Eve Dubé, Devon Greyson D, Janice E. Graham


MacDonald NE MD MSc1, Dubé E PhD2, Greyson D PhD3, Graham JE PhD1,4.

1.    Département de pédiatrie, Université Dalhousie, Centre de soins de santé IWK, Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada
2.    Institut national de santé publique du Québec et Université Laval, Québec (Québec), Canada
3.    Department of Communication, College of Social and Behavioral Sciences, University of Massachusetts, Amherst (Massachusetts), États-Unis
4.    Unité de recherche en technosciences et réglementation, Faculté de médecine, Université Dalhousie, Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

Auteure-ressource : Noni MacDonald
Financement : Aucun pour le présent commentaire
Divulgation des conflits d’intérêts : Tous les auteurs sont rémunérés par leur université ou ministère d’attache.

Mots clés : sondages d’opinion, mésinformation, désinformation, COVID-19, négationnisme scientifique


La pandémie de COVID-19 s’accompagne d’une « infodémie » de mésinformation et de désinformation (1). Avec l’incertitude qui règne, la complexité de la science et l’évolution rapide des connaissances, une mésinformation bien intentionnée n’a rien d’étonnant. Le temps que les scientifiques comprennent une nouvelle maladie et que des données de recherche fiables soient établies, les informations partielles et les conjectures comblent l’écart. Malheureusement, la désinformation, soit les informations délibérément fausses ou trompeuses (2), est à prévoir quand une crise offre la possibilité de faire de l’argent (3) ou de miner les institutions existantes, dont les systèmes d’éducation et de soins de santé. Quelle que soit l’intention, les informations trompeuses se propagent rapidement à l’ère des médias sociaux et de la couverture médiatique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, aidées en cela par l’influence de la peur, de l’anxiété et du stress sur le savoir, les convictions et les décisions de santé. Il incombe donc à ceux qui font de la recherche rapide sur la COVID-19, surtout de la recherche associée à la sensibilisation du public et à l’application des connaissances, d’éviter de contribuer par leur travail à la propagation de la mésinformation et de la désinformation.

Les gouvernements, les universitaires et les maisons de sondage du monde entier mènent de nombreux sondages pour évaluer l’accueil réservé aux messages sanitaires sur la COVID-19 dans la population. Il suffit de se poser sur le site Web d’un média d’information pour voir les résultats d’un nouveau sondage ou être invité à donner son opinion. La surveillance de l’opinion et des connaissances du public est un élément important des contre-mesures de santé publique instaurées en réaction à la COVID-19 (4). Il est cependant essentiel que les sondages soient conçus soigneusement pour éviter de contribuer à la « surdose d’informations » et de propager par inadvertance des messages inexacts. De nombreux sondages sont de conception rigoureuse, fondés sur la littérature des sciences sociales et comportementales, mais c’est loin d’être le cas de tous, et nous craignons que dans la ruée vers la collecte de données périssables, on passe outre aux principes de conception des sondages et des messages éducatifs. Par exemple, selon un article publié le 28 avril 2020 sur un sondage de la firme Léger et de l’Association d’études canadiennes, 60 % des Canadiens croient que le vaccin [contre la COVID 19] devrait être obligatoire (Canadians divided over making COVID-19 vaccine mandatory: Poll). Cette question sur le caractère obligatoire du vaccin donne à tort l’impression que la vaccination obligatoire est envisagée, alors que les stocks ne suffiront pas à couvrir la population canadienne quand les premiers vaccins deviendront disponibles – ce qui rendra la vaccination obligatoire impossible. Cette question sur l’obligation de se faire vacciner a refait surface dans les reportages et les analyses pendant plusieurs semaines.

L’évaluation des connaissances du public sur le SRAS-Cov-2 et la COVID-19, quand la science évolue aussi rapidement, pose des difficultés particulières. La première est de désambiguïser la « bonne » et la « mauvaise » incertitude. Les concepteurs de sondages doivent prendre garde de ne pas assimiler la méfiance envers les messages de santé publique (une issue indésirable) à l’incertitude scientifique (une position raisonnable dans l’état actuel des connaissances). Les questions sur la méfiance à l’égard des informations de santé publique devraient être libellées avec soin pour cibler la méfiance envers les institutions comme le gouvernement, la médecine, la science et les entreprises, en évitant de mettre dans le même sac les évaluations exactes du caractère émergent de la science et la méfiance envers la santé publique. C’est important, car les réactions efficaces à ces deux types d’incertitude sont différentes : l’une (l’incertitude scientifique) requiert des communications claires au sujet de la science à mesure qu’elle devient moins incertaine, tandis que l’autre (la méfiance envers la santé publique) requiert une approche communautaire pour ranimer la confiance dans la science.

Le deuxième piège est celui des questions d’évaluation des connaissances qui visent à cerner les connaissances lacunaires et les fausses croyances dans la population. De telles données sont extrêmement précieuses pour pouvoir adapter les messages de santé publique, mais il faut absolument éviter de renforcer les réponses incorrectes aux questions sur les connaissances. Si elles sont à choix multiples, ces questions tendent à susciter des réponses erronées, car les répondants privilégient les réponses familières, même si elles sont incorrectes (5). De plus, ces questions risquent d’encourager les répondants à se souvenir par la suite des fausses réponses comme étant vraies (6, 7). En particulier, nous mettons en garde contre la pratique de demander au public de répondre à des questions sur lesquelles des données scientifiques sont encore en train d’être collectées (p. ex. sur la durée de la période d’incubation, les modes et les risques de transmission ou les symptômes de la COVID-19). Non seulement de telles questions risquent-elles de donner une image inexacte des connaissances du public : elles peuvent solidifier les réponses incorrectes.

La science implique la vérification d’hypothèses et la répétition d’études; une part d’incertitude est à prévoir dans la communauté scientifique. Aux yeux du public toutefois, les données nouvellement découvertes qui changent les recommandations de santé publique antérieures peuvent être perçues comme de l’ignorance, de la confusion ou même de l’obscurcissement délibéré, surtout avec la cacophonie de mésinformation et de désinformation du tourbillon médiatique. Il faut donc nous demander pour chaque sondage : Faisons-nous œuvre utile ou nuisible en posant des questions sur les connaissances au début d’une pandémie, alors que les indications changent constamment?

Vu les difficultés inhérentes à la correction efficace de la mésinformation (8), en particulier la correction des mythes enracinés sur la santé (9), la conception d’un sondage doit être entreprise avec soin, en consultation avec des spécialistes de la psychologie des sondages et en contrôlant la mésinformation. Il y a d’autres moyens de recueillir ces données que par des questionnaires de sondage de type « vrai-faux » ou à choix multiples, qui risquent plutôt de semer la confusion chez ceux qui ne perçoivent pas les informations trompeuses – surtout si le sondage vient d’autorités de confiance. La recherche observationnelle qualitative ou l’écoute des médias sociaux (10) peuvent détecter des tendances dans les rumeurs et les fausses informations qui circulent dans la population, sans contribuer à la mésinformation. Pour revenir à la question de sondage sur la vaccination obligatoire, il aurait peut-être été plus utile de demander « qui devrait avoir accès en premier au vaccin contre la COVID-19 lorsqu’il sera disponible et pourquoi », en posant des questions non dirigées.

À mesure que le savoir scientifique sur la COVID-19 s’améliore, il faut lier les conseils de santé publique ou de soins de santé et les orientations politiques aux données probantes récemment découvertes (11). La mésinformation et la désinformation doivent être combattues vigoureusement. Les professionnels de la santé publique doivent être directs et ne pas offrir d’excuses pour de tels changements d’orientations quand de nouvelles données deviennent disponibles. Avec les messages discordants qui circulent, il est essentiel d’édifier une base de recherche pour évaluer les connaissances sur l’urgence de santé publique que représente la COVID 19. Les études actuelles doivent elles-mêmes être étudiées, pour perfectionner nos méthodes de recherche d’informations en santé publique. Aux entités qui mènent des sondages sur la COVID-19 nous demandons de faire attention de ne pas contribuer à la mésinformation et à la désinformation. Conformément au principe fondamental du serment d’Hippocrate, je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice, « d’abord ne pas nuire » vaut également pour les questions des enquêtes de santé.


Références

  1. Organisation mondiale de la santé. Novel coronavirus (2019-nCoV) situation report - 13 [Internet]. 2020 [cité le 29 avril 2020]. Disponible : https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/situation-reports/20200202-sitrep-13-ncov-v3.pdf
  2. Jack C. Lexicon of lies: terms for problematic information [Internet]. New York (NY): Data & Society Research Institute; 2017 [révisé le 9 août 2017; cité le 13 avril 2020]. Disponible : https://datasociety.net/library/lexicon-of-lies/
  3. Europol. Pandemic profiteering: how criminals exploit the COVID-19 crisis [Internet]. Europol Report; 2020 [révisé le 27 mars 2020; cité le 27 mars 2020]. Disponible : https://www.europol.europa.eu/publications-documents/pandemic-profiteering-how-criminals-exploit-covid-19-crisis
  4. Betsch C, Wieler LH, Habaersaat K pour le groupe COSMO. Monitoring behavioural insights related to COVID-19. The Lancet [Internet]. 2 avril 2020;395(10232):1255-6. Disponible : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30729-7/fulltext
  5. Xu X, Kauer S, Tupy S. Multiple-choice questions: tips for optimizing assessment in-seat and online. Scholarship of Teaching and Learning in Psychology. 2016;2(2):147–58.
  6. Roediger HL III, Marsh EJ. The positive and negative consequences of multiple choice testing. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition. 2005;31, 1155-9.
  7. Marsh EJ, Roediger HL III, Bjork RA, Bjork EL. The memorial consequences of multiple-choice testing. Psychonomic Bulletin & Review. 2007;14:194-9.
  8. Lewandowsky S, Ecker UK, Seifert CM, Schwarz N, Cook J. Misinformation and its correction: continued influence and successful debiasing. Psychological Science in the Public Interest. 2012;13(3):106-131.
  9. Nyhan B, Reiffler J. Does correcting myths about the flu vaccine work? An experimental evaluation of the effects of corrective information. Vaccine. 2015;33(3):459-464.
  10. Taylor J, Pagliari C. Comprehensive scoping review of health research using social media data. BMJ Open. 2018;8(12):e022931.
  11. Rochwerg B, Parke R, Murthy S, Fernando SM, Leigh JP, Marshall J, Adhikari NKJ, Fiest K,
    Fowler R, Lamontagne F, Sevransky JE. Misinformation during the coronavirus disease 2019 outbreak: how knowledge emerges from noise. Critical Care Explorations. Avril 2020;2(4).